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Le dossier de la Cour de cassation - Ass. Plen, 15 dec. 2010

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Le dossier de la Cour de cassation - Ass. Plen, 15 dec. 2010 Empty Le dossier de la Cour de cassation - Ass. Plen, 15 dec. 2010

Message par admin Sam 18 Déc 2010 - 23:43

Je me permets de reprendre, pour celles et ceux n'ayant pas encore eu connaissance de cet article du Monde, un extrait de ce dernier avec notamment la plaidoirie de Me Spinosi, avvoat à la Cour et les réquisition de Marc Robert, Avocat général.

Référence de l'article en bas de page.

La plaidoirie de Patrice Spinosi

Patrice Spinosi, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, est aussi fort actif devant la Cour européenne, c’est notamment lui qui a obtenu une belle brochette d’arrêts (Medvedyev, Brusco, Moulin) qui ont passablement bouleversé la procédure française.

Il insiste dans ses observations orales, et le point de vue est assez neuf, sur la durée nécessairement variable de la garde à vue. Pour lui, la jurisprudence européenne impose que la privation de liberté soit proportionnée aux faits et à la personnalité de l’accusé, et fixer une garde à vue à 24, 48, 72 ou 96 heures n’a pas grand sens. Et il s’élève par ailleurs contre la proposition du parquet général de faire référence à la jurisprudence du conseil constitutionnel, qui avait estimé que le parquet faisait bien partie de l’autorité judiciaire, mais si les mots ne renvoient pas au même concept que celui de la CEDH. Voici son texte.

Le temps du juge
Monsieur le président, Madame, Messieurs les conseillers.

Je suis venu pour vous parler d’un temps nouveau. Ce temps nouveau, c’est celui du juge.

Il ne vous aura évidemment pas échappé que nous sommes actuellement au coeur d’une véritable révolution institutionnelle qui remet en cause les modèles déterminés à l’époque des grandes codifications.

Un nouvel équilibre institutionnel est en train de se mettre en place où le juge devenu gardien des droits fondamentaux et des libertés essentielles est passé du statut d’arbitre des parties à celui d’arbitre de la loi.

Le conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’Homme, la cour de justice européenne, les lieux de la création jurisprudentielle se multiplient, imposant un nécessaire dialogue entre les différentes cours suprêmes et limitant d’autant la liberté du législateur.


Ce dernier, d’ailleurs, est le premier responsable de cette dévalorisation de la loi. L’inflation législative, la spécialisation à outrance des textes promulgués, l’instabilité de la norme légale ont eu raison du caractère immanent et permanent qui caractérisait la loi, laquelle selon Portalis ne pouvait être rédigée que d’une main tremblante.

C’est au juge qu’il appartient désormais de retrouver la cohérence perdue du droit, et de relever le flambeau de la justice que le législateur a laissé s’échapper.

Un juge non plus serviteur de la loi, mais bien censeur de la loi qui a vocation à être non plus une simple autorité mais bien un pouvoir juridictionnel créateur de droit aux côtés du législateur.

Cette évolution elle est là. On peut la nier, la regretter, même la combattre, mais elle est en marche et plus rien ne l’arrêtera. La garde à vue en est l’exemple éclatant.

Parce qu’il est, trop longtemps, resté sourd aux avertissements de la Cour européenne des droits de l’Homme, le législateur se retrouve aujourd’hui obligé de subir, au coup par coup, les décisions prononcées à Strasbourg, rue Montpensier ou ici même pour mettre en oeuvre une réforme qui s’impose à lui plus qu’il ne la décide.

La décision que vous aurez à rendre aujourd’hui s’inscrit dans cette continuité.

Le rôle du parquet
Le pourvoi dont vous avez à connaître vous pose, en effet, la question déterminante du rôle du parquet pour contrôler et renouveler la garde à vue.

Ainsi que vous l’a rappelé votre conseiller-rapporteur au terme de sa très remarquable et très exhaustive analyse, pour y répondre il vous appartient de tirer les conséquences sur notre droit des différentes décisions qui ont été rendues sur ce point par la Cour européenne et plus particulièrement l’arrêt de Grande chambre Medvedyev et il y a quelques semaines, l’arrêt France Moulin.

Ce faisant, vous serez amenés à répondre à deux questions fondamentales :

Premièrement : le procureur de la république constitue-t-il une autorité judiciaire au sens de l’article 5 alinéa 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ?

Deuxièmement : le délai de 48 heures prévu par la loi française avant toute présentation du gardé à vue à un juge d’instruction est-il nécessairement conforme avec l’obligation d’être aussitôt traduit devant un magistrat au sens de cette même disposition conventionnelle ?

Le parquet est-il une autorité judiciaire ? Faut-il vraiment encore vous en convaincre?

Combien de temps aura-t-il fallu pour que soit reconnu ce postulat pourtant évident :

Le parquet n’est pas indépendant eu égard à son lien de subordination statutaire à l’égard des pouvoirs publics et il ne peut présenter de garantie d’impartialité suffisante en sa qualité de partie poursuivante à la procédure.

Ce n’est pas la première fois, que je me présente devant vous pour vous convaincre de l’absence d’indépendance du parquet. Vous avez connu de l’affaire Medveyev, de l’affaire France Moulin.

Chaque fois, je vous exhortais, comme aujourd’hui, à vous saisir du pouvoir qui est désormais le votre, à dépasser les vieux modèles aujourd’hui obsolètes, à faire avancer le droit guidé par des principes fondamentaux dont vous êtes les premiers interprètes.

J’ai dû chercher ailleurs ce que vous me refusiez
J’ai du aller chercher ailleurs, ce que vous, mes juges naturels, ma Cour, vous me refusiez.

Medvedyev, 2 fois, Brusco et hier France Moulin, autant de temps perdu pour des justiciables brisés par des années de procédure pour revenir devant vous, huit ans après, devoir vous convaincre.

Alors non, le parquet n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour européenne l’aura dit trois fois, chaque fois un peu plus fort, chaque fois un peu plus clairement.

Et il n’y guère plus que la Chancellerie pour opposer une vaine résistance à cette réalité juridique inéluctable.

C’est bien cette solution que je vous demande aujourd’hui de consacrer avec la même clarté, avec la même netteté pour que définitivement se close la période des faux-semblants, des interprétations erronées, le jeu de controverses et des polémiques inutiles.

Et que l’on ne se trompe pas de débat. Il ne s’agit pas de nier aux membres du parquet leur statut de magistrat.

La notion d’autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la Convention européenne est une notion autonome, spécifique, qui ne se confond pas avec celle de magistrat.

Ce que demande la cour européenne c’est simplement qu’il existe une stricte différence entre :

-d’un côté, les magistrats qui poursuivent, qui n’ont pas à présenter des garanties structurelles d’indépendance et d’impartialité

-et, de l’autre, des magistrats qui jugent, inamovibles et impartiaux, seuls gardiens des libertés fondamentales.

Rien de plus. Est-ce si difficile ? Est-ce à ce point si révolutionnaire de vouloir faire correspondre le droit avec la réalité ?

Et qu’on ne vienne pas me dire que l’arrêt France Moulin ne serait pas définitif. Le prétendu appel, terme au demeurant, vous le savez, totalement impropre, annoncé par la chancellerie démontre simplement la résistance inutile du gouvernement à un état du droit désormais irréversible.

La demande qui serait, hypothétiquement, présentée par la France de saisir la Grande chambre aurait, vous le savez, bien peu de chances de passer le filtre très restrictif du comité des juges chargés de son examen.

Pourquoi saisir la Grande chambre, recours qui, je vous le rappelle, est exceptionnel et qui n’est autorisé que dans 15% des cas, quand celle-ci vient précisément de se prononcer sur l’impartialité du parquet français aux termes de sa décision Medvedyev et qu’en outre, la décision France Moulin a été rendue à l’unanimité, démontrant par là même l’absence de toute ambigüité ou divergence au sein de la section sur la solution retenue.

Tout cela n’est que mur de papier et atermoiements politiques.

La raison juridique commande la solution, le parquet n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la Convention.

Et il est à cet égard indifférent que le conseil constitutionnel ait pu retenir le contraire.

L’autorité judiciaire au sens de la Constitution
Plus habile que sa Chancellerie et démontrant, d’ailleurs, par là même son indépendance à tout le moins d’esprit, votre avocat général est prêt à reconnaître, tout en la regrettant, la solution retenue par l’arrêt France Moulin.

Mais à une autorité judiciaire, il se propose d’en substituer une autre.

Qu’importe que la cour européenne affirme que le parquet n’est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention puisque, en tout état de cause, le parquet serait une autorité judiciaire au sens de la Constitution.

Vous ne sauriez être dupes de ce tour de passe-passe juridique auquel le parquet vous invite, qui ne pourrait qu’ajouter de la confusion à un débat qui a d’ores et déjà été largement pollué par des interprétations erronées et des motivations byzantines.

Il ne s’agit pas ici de chercher à tout prix à raccommoder la loi française qui se délite. Il ne s’agit pas de substituer un concept à un autre, bon gré, mal gré pour épargner tant bien que mal un édifice juridique bringballant.

Le pourvoi de M. Creissen ne vous saisis pas d’un moyen tiré d’une violation d’un principe constitutionnel.

L’autorité judiciaire qui est aujourd’hui en cause devant vous c’est l’autorité judiciaire telle qu’elle est définie par l’article 5 de la convention et pas une autre.

Et c’est cette notion de l’autorité judiciaire et celle-là seulement que demain la Cour européenne des droits de l’Homme serait à nouveau susceptible d’apprécier si vous deviez, comme je ne peux pas le croire, refuser de consacrer la solution qui a d’ores et déjà été clairement affirmée et entrainé par deux fois la condamnation de la France.

Votre décision, quelle qu’elle soit, sera de principe. Ne la diluez pas par des références ambigües à des concepts faussement similaires.

Chacun attend que votre parole soit libre et forte et suprême et qu’elle affirme, à l’unisson avec les juges de Strasbourg, que le parquet n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5§3 de la Convention européenne.

Mais, ce faisant, vous n’aurez parcouru que la moitié du chemin que je vous invite à emprunter.

L’exigence de promptitude
Car une fois acquise l’absence de qualité du parquet pour contrôler la détention avant jugement, faut-il encore démontrer qu’a été méconnue l’exigence de promptitude qu’impose l’article 5 alinéa 3.

En effet, vous le savez, ce texte pose en principe que la personne arrêtée doit être aussitôt traduite devant un juge ou un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires.

Le seul fait que le ministère public ne soit pas ce type de magistrat n’est donc pas à lui seul suffisant pour entrainer l’absence de conformité des dispositions françaises. Encore faut-il que le délai de 48 heures prévu par la loi pour l’intervention d’un juge d’instruction ne soit pas par principe compatible avec l’exigence de promptitude de l’article 5 telle qu’elle est interprétée par la Cour européenne des droits de l’Homme.

On ne peut nier que l’on ne trouve pas dans la jurisprudence de la Cour européenne une décision qui permettrait d’affirmer qu’un délai de 48 heures, et a fortiori un délai de 25 heures comme en l’espèce, serait par nature excessif et ne répondrait pas à l’exigence de promptitude imposée par l’article 5 de la Convention.

A cet égard votre rapporteur et votre avocat général font un décompte exhaustif des décisions qui ont d’ores et déjà été rendues par la cour qui démontrent que c’est le plus souvent à compter de quatre jours, délai retenu dans la décision de principe Brogan contre Royaume Uni que l’exigence de promptitude est méconnue.

Cela est juste. Mais il faut ne pas avoir une simple approche statistique des décisions rendues. Comme souvent avec la Cour européenne, il convient de procéder à un examen un peu plus approfondi des motifs qui justifient les solutions retenues.

Vous le savez, la Cour européenne des droits de l’Homme ne raisonne jamais de façon abstraite et théorique.

Sa démarche est toujours concrète, effective et déterminée par le cas de l’espèce qui lui est soumis.

L’appréciation du délai acceptable avant l’exercice effectif du contrôle juridictionnel imposé par l’article 5 de la Convention n’échappe pas à ce principe de lecture cardinal de la cour de Strasbourg.

Ainsi, celle-ci affirme-t-elle clairement, je la cite : « l’article 5 alinéa 3 commande que le contrôle juridictionnel intervienne rapidement, la célérité de pareille procédure devant s’apprécier dans chaque cas suivant les circonstances de la cause (voir par exemple l’arrêt Dejong et Van der Brick c. Pays bas alinéa 51 et 52) ».

Elle précise, je la cite encore : « toutefois en interprétant et en appliquant la notion de promptitude on ne peut témoigner de souplesse qu’à un degré très faible ».

La cour européenne invite ainsi le juge national, qui a pour mission d’appliquer la convention, de vérifier pour chaque cas, selon les critères de l’espèce, si l’exigence de promptitude de la présentation à une autorité judiciaire a été satisfaite.

Pour ce faire il doit prendre en considération, entre autres :

-la nature de l’infraction dont la personne est soupçonnée,

-l’âge de la personne arrêtée,

-ses conditions physiques

-et surtout s’il a pu effectivement bénéficier de la présence d’un avocat dès les premières heures de son arrestation

Et c’est précisément en cela que la loi française n’est pas conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.

Non, pas parce que le délai de 48 heures est nécessairement trop court pour répondre à l’exigence de promptitude qui est imposée par l’article 5 alinéa 3, mais bien parce que c’est un délai préfixe qui ne prend nullement en considération la spécificité de chaque personne gardée à vue.

Ainsi, si on ne peut pas affirmer que toute garde à vue qui aurait duré 48 heures sous le seul contrôle du procureur de la république est par nature contraire à l’article 5 de la convention, on ne peut pas plus affirmer, à l’inverse, comme le prétend votre avocat général, que toute garde à vue qui a duré ce même temps serait, par principe, conforme à ses dispositions.

Le droit pour une personne arrêtée à être présentée aussitôt à un juge n’est pas le même selon que cette personne est poursuivie pour des actes de terrorisme ou de criminalité en bande organisée ou selon qu’on lui reproche une infraction bénigne d’insulte ou de violences légères.

Il n’est pas la même selon qu’il s’agit d’une personne âgée, d’un mineur, d’un handicapé ou d’un homme en pleine possession de ses moyens.

Et il n’est pas la même selon que le gardé à vue a pu être assisté d’un avocat ou qu’il a été laissé pendant le temps de sa rétention sous la seule autorité des forces de police sans conseil ni assistance.

C’est à l’aune de l’ensemble de ces critères que doit s’apprécier l’exigence de promptitude.

A cet égard, les dispositions de la loi française ne sont pas, en soit, en contradiction avec celles de la Convention européenne.

Mais elles sont susceptibles demain d’entraîner une nouvelle condamnation de la Cour européenne parce qu’elles ne prévoient aucune modulation de leur application selon chaque cas particulier.

Et c’est bien en cela qu’elles sont critiquables. Et c’est bien pour cela qu’elles ont vocation à évoluer. Il faut que nous apprenions à changer nos modèles.

En matière de droits fondamentaux nous ne pouvons plus raisonner avec des principes légaux, théoriques, abstraits et prédéterminés.

Notre approche française des libertés essentielles, pour prestigieuse et fondatrice qu’elle ait été, qui le nierait, n’a pourtant pas remporté la bataille de l’influence au sein du Conseil de l’Europe.

La victoire de la Common Law
Notre héritage romano-germaniste a été battu en brèche par celui anglo-saxon de la Common law, pragmatique, casuistique et inductif. Faut-il le regretter ? Peut-être.

Peut-être, n’avons-nous pas su faire suffisamment entendre notre voix et la spécificité de notre grand système de droit.

Mais, quoi qu’on en pense, la France appartient désormais au Conseil de l’Europe et le contrôle juridictionnel instauré par la cour européenne impose, en matière de libertés, l’abandon de nos dispositions dogmatiques et figées.

Or, tel est précisément le cas lorsque la loi française pose en principe un délai comme celui de 48 heures, immuable, avant lequel l’autorité judiciaire serait par principe exclue du contrôle de la garde à vue.

La cour européenne vous le rappelle d’ailleurs, comme le relève si justement votre rapporteur, quand, dans sa décision France Moulin, faisant référence à l’arrêt Brogan, elle relève, qu’à cette occasion, il a été « jugé une période de 4 jours et 6 heures aller au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5-3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme, ce qui n’était au demeurant pas le cas en l’espèce ».

« Ce qui n’était au demeurant pas le cas en l’espèce ».

Cette incise démontre bien que dans l’hypothèse de France Moulin, laquelle était uniquement poursuivie pour des faits de blanchiment et de violation du secret de l’instruction, la Cour aurait pu considérer comme excessif un délai bien inférieur à celui de 4 jours de l’arrêt Brogan, relatif à des faits de terrorisme.

L’espèce qui vous saisie est, à cet égard, particulièrement topique puisque Philippe Creissen est poursuivi pour des faits bénins, un litige de voisinage, où on lui reproche d’avoir prétendument tiré avec une carabine à air comprimé sur son voisin qu’il affirme ne jamais avoir visé.

On est bien loin du terrorisme international et de la criminalité organisée pour cet avocat qui a marqué son attachement aux droits fondamentaux en se présentant devant le juge d’instruction avec le mention CEDH tatouée sur le front.

Les faits qui lui sont reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans.

Quelle juridiction vérifiera pour cet homme, en considération des faits qui lui était reprochés, des nécessités de l’enquête, du fait qu’il n’a jamais vu un avocat, s’il n’était pas nécessaire que la prolongation de sa garde à vue au bout de la 24ème heure soit ordonnée par une autorité judiciaire. Personne. Et pour cause.

Et pourtant, c’est là, la nature du contrôle qui est exigé par la Cour européenne des droits de l’Homme.

C’est là, la nature du contrôle que les juges strasbourgeois attendent que vous imposiez aux juges du fond.

C’est là, la nature du contrôle qu’il vous appartient de consacrer, poussant ainsi le législateur à l’instaurer dans le cadre de la réforme de la garde à vue qui est actuellement en cours.

Avec le temps du juge est venu celui du respect des libertés fondamentales.

Un respect nouveau qui abandonne les principes légalistes et formalistes chers au droit français et à la technique romaniste. Un respect proportionné, équilibré, effectif et concret, qui fait la balance entre les intérêts en présence.

Tel est bien le nouveau temps du respect des libertés. Et c’est cette voie là qu’il vous appartient de montrer au législateur.

Ce rôle vous pouvez le refuser, l’éviter ou l’occulter mais, quoi que vous fassiez pour ne pourrez y échapper. C’est le votre désormais.

Celui de juge du droit et gardien des libertés fondamentales, de contre-pouvoir essentiel et démocratique, de guide et d’interprète des libertés individuelles

Un juge qui n’est plus, et depuis longtemps, la bouche de la loi, mais qui en est devenu son esprit et son coeur.

Un juge moderne et fort.

Les réquisitions de Marc Robert, avocat général
Marc Robert, fin juriste, a très longuement développé ses arguments dans ses conclusions écrites. L’avocat général admet que le parquet ne soit pas une autorité judiciaire, mais entend appliquer “la Convention, et rien que la Convention”, notamment sur les délais de présentation à un juge. Voici ses observations orales.

Mesdames et Messieurs de la Cour
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

Hier, le juge de la conventionnalité que vous êtes prenait, au regard de l’article 6 § 3 de la Convention Européenne, une décision qualifiée d’historique s’agissant des droits de la défense en garde à vue.


Aujourd’hui, vous êtes invité par le pourvoi dont vous êtes saisi à trancher une autre question relative à cette même garde à vue : les dispositions de droit interne, qui confèrent au procureur de la République le pouvoir de prolonger la garde à vue à l’issue des premières 24 heures, relève-t-il du contrôle judiciaire prévu par l’article 5 § 3 de ladite Convention ? Et, si oui, ce procureur est-il légitime à exercer ce contrôle judiciaire?

C’est, vous l’avez compris, la 1ère branche du 1er moyen dont nous sommes saisis qui retiendra toute mon attention, les autres moyens s’avérant, manifestement, irrecevables ou mal fondés. Je vous renvoie sur ce point, comme pour nombre d’autres développements, à la teneur de mes réquisitions écrites.

La question est primordiale car elle concerne le rôle respectif des magistrats du siège et du parquet, sujet oh combien sensible dans le contexte actuel ; mais, essentielle, elle l’est plus encore comme ayant trait aux libertés individuelles que l’Autorité judiciaire se doit de préserver.

Et précisément, c’est l’importance même de la question qui doit nous conduire à une interprétation rigoureuse de la disposition conventionnelle concernée : je disais il y a quelques semaines que votre décision devait être guidée par “toute la Convention, rien que la Convention” ; cette formule s’avère toujours autant d’actualité aujourd’hui.

J’analyserai ainsi, dans un 1er temps, l’article 5 § 3 à la lumière de l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite, avant d’en examiner, dans un second temps, les effets sur le droit interne.

L’article 5 § 3 de la Convention européenne
L’objet du contrôle judiciaire instauré par l’article 5 § 3 est bien défini, depuis 1978, par la Cour de Strasbourg : il s’agit de fournir une garantie contre d’éventuelles privations de liberté arbitraires ou injustifiées et, par-delà, contre le risque de mauvais traitements.

A priori, la question de la prolongation de la garde à vue paraît bien éloignée du rôle assigné à ce contrôle judiciaire, sauf à considérer, à juste raison, que c’est l’envers d’une même pièce et que la prolongation, comme le maintien, supposent, au préalable, un tel contrôle de légalité et d’opportunité.

Il résulte de cet objectif plusieurs exigences mises en évidence par l’arrêt McKay de 2006, notamment :

- le caractère automatique du contrôle, qui distingue ce dernier du droit reconnu par l’article 5§4 à toute personne détenue de demander sa libération

- l’obligation, pour le contrôleur, d’entendre personnellement la personne arrêtée, ce que vient de rappeler avec force l’arrêt Moulin du 23 novembre dernier, ou, à tout le moins, selon l’arrêt Oral et Atabay du 23 juin 2009, d’entendre son conseil en ses observations.

- le pouvoir effectif du magistrat d’ordonner la libération.

Le respect de ces trois premières exigences n’est pas contesté en l’espèce, le moyen se focalisant sur les deux dernières, relatives aux professionnels habilités à exercer ce contrôle judiciaire et au moment où ce dernier doit s’exercer. C’est donc sur ces deux points que va porter l’essentiel de mes observations.

Quel est le professionnel fondé à exercer le contrôle judiciaire de l’article 5 § 3?

Si les garanties attendues au titre du procès équitable régi par l’article 6 § 1 requièrent l’intervention d’un “tribunal indépendant et impartial”, soit le plus haut niveau de protection juridictionnelle, les rédacteurs de la Convention se sont montrés moins exigeants pour le contrôle de la privation de liberté de l’article 5 § 3 qui n’a pas de caractère “juridictionnel” au sens procédural du terme, et relève, certes d’une “autorité judiciaire” visée à l’article 5 § 1, mais définie de manière large, comme pouvant être “un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires”.

Manifestement, pour ces rédacteurs, comme pour ceux du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1976 -qui comporte une disposition similaire en son article 9 visant “un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires”-, cet “autre magistrat” ou cette “autre autorité” comprenait l’ensemble des juristes exerçant les fonctions du ministère public, raison pour laquelle les réserves accompagnant la ratification de la Convention par les Etats-membres ne portèrent jamais sur ce dernier.

Ceci ne revêt toutefois qu’un intérêt historique, dans la mesure où la Cour européenne, lorsqu’elle fut appelée -d’ailleurs tardivement- à se prononcer, a donné une portée autonome à ce concept de “magistrat habilité”.

Exigeant, pour une meilleure garantie de la personne arrêtée, que ce magistrat possède les plus éminentes qualités du juge, à savoir l’indépendance à l’égard de l’Exécutif et l’impartialité à l’égard de toute partie, la Cour a, dans un premier temps (arrêt Schiesser du 4.12.1979), développé une conception objective de ces garanties, le procureur de la République étant assimilé au magistrat de l’article 5 § 3 à la double condition que, dans l’affaire en cause, il n’ait point reçu d’instructions du pouvoir Exécutif et qu’il n’ait point assumé par la suite le rôle de partie poursuivante.

Puis, abandonnant l’approche “in concreto” pour faire valoir sa théorie dite “de l’apparence”, la Cour a jugé, dès 1984 et, plus encore, dans l’affaire Huber du 23 octobre 1999, que la condition de l’impartialité était incompatible avec la qualité même d’autorité de poursuite ; dans le même temps (1998), elle a estimé que la condition liée à l’indépendance devait être appréciée en fonction de l’existence ou non de liens de subordination statutaire entre le magistrat concerné et le Pouvoir Exécutif, le fait que cette subordination n’ait pas eu lieu à s’exercer effectivement en l’espèce devenant indifférent.

En résumé, la Cour a vidé de toute substance le concept de “magistrat” de l’article 5 § 3 pour l’assimiler, purement et simplement, à un juge, confondant, dans le même temps, “l’autorité judiciaire” des articles 5 § 1 et 3 avec “le tribunal indépendant et impartial” de l’article 6 § 1.

Il en résulte qu’aucun membre des ministères publics des Etats-membres du Conseil de l’Europe, y compris ceux qui bénéficient d’un statut de totale indépendance parce qu’ils sont partie poursuivante (cf. l’Italie) et, a fortiori, ceux qui n’en bénéficient pas (cf., en particulier, la France), ne saurait exercer le contrôle juridictionnel de l’article 5 § 3.

Les récentes décisions concernant la France -qu’il s’agisse de l’arrêt Medvedyev rendu par la Grande Chambre le 29 mars 2010 (je fais référence à son paragraphe 124) ou de l’arrêt Moulin du 23 novembre dernier - ne font que confirmer, en ce qui concerne le ministère public français, les enseignements précédents, tout en reconnaissant, à nouveau, au juge d’instruction la pleine capacité d’exercer le contrôle juridictionnel de l’article 5 § 3.

La France a attendu d’être condamnée
Il est regrettable qu’une fois encore la France ait attendu d’être condamnée pour accepter de prendre en considération la jurisprudence de la Cour internationale qui, tout autant que le texte conventionnel qu’elle interprète, s’impose pourtant à elle.

Je rajouterai, pour lever toute équivoque, qu’à supposer que la Grande Chambre soit saisie et censure la décision rendue en 1ère instance dans l’affaire Moulin -et il peut y avoir, selon moi, matière à censure puisqu’en l’espèce soumise à la Cour Européenne, la garde à vue est intervenue dans le cadre d’une commission rogatoire et que le mandat d’amener qui s’en est suivi a été délivré par un juge d’instruction alors même que le contrôle juridictionnel de l’article 5 § 3 ne me paraît pas avoir pour objet premier de se prémunir contre l’arbitraire susceptible de résulter des décisions d’un juge indépendant…-, mes conclusions demeureraient inchangées: en droit, le parquet français ne saurait valablement exercer le contrôle de l’article 5 § 3.

Sur ce point, je partage donc l’opinion du demandeur selon laquelle les motivations de la cour d’appel de Fort de France, en ce qu’elles interprètent de manière erronée le texte Conventionnel, s’avèrent dénuées de pertinence.

Quand débute le contrôle juridctionnel ?
Il reste maintenant à examiner quand, précisément, débute ce contrôle juridictionnel de l’article 5 § 3, afin de savoir si la prolongation au terme des 24 premières heures en fait, ou non, partie intégrante. C’est sur ce point que les analyses d’une partie des commentateurs des récents arrêts rendus par la Cour de Strasbourg me paraissent manquer, singulièrement, de précision.

Littéralement, les termes de cet article, qui sont rappelés à longueur de conclusions et de mémoires, ne souffre d’aucune ambiguïté, puisque : “Toute personne arrêtée… doit être aussitôt traduite devant un juge”.

Lors de la rédaction du texte en 1949, un tel adverbe ne donna pas lieu à débat, même s’il réduisait, à sa plus simple expression, la garde à vue policière, qui, il est vrai, se trouvait encore dans les limbes, l’enquête judiciaire, avec la saisine immédiate d’un juge d’instruction, prévalant alors.

Aussi le Comité d’experts du nouveau Conseil de l’Europe se contenta-t-il de démarquer un projet de Pacte sur le même objet alors débattu à l’O.N.U., lequel prévoyait que “Toute personne arrêtée…sera immédiatement traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité…”

Promptly ou aussitôt ?
Mais un tel consensus ne dura guère, puisque, sur ce point, la version anglaise de la Convention diffère sensiblement de la version française, alors que toutes deux font foi égale.

En effet, en anglais, l’adverbe utilisé dans l’article 5 § 3 est “promptly” -qui peut être traduit par “promptement” ou “rapidement”-, ce qui ne saurait équivaloir à “aussitôt” ou à “immédiatement”.

Plus grave encore, ce même adverbe “promptly” est aussi utilisé dans l’article 5 § 2, mais l’équivalent français est ici : “dans le plus court délai”.

Et ce sont ces mêmes derniers adverbe et locution qui se retrouvent dans les versions anglaise et française du Pacte international relatif aux droits civils et politiques entré en vigueur en 1976, en son article 9-3, ainsi rédigé pour la version française : “Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée…”

Toutefois, l’O.N.U. n’allait pas tarder à rajouter à la confusion en adoptant, en décembre 1988, une résolution dénommée “Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement”, qui comporte un principe 11 prévoyant -je cite la version française- “qu’une personne ne sera pas maintenue en détention sans avoir la possibilité effective de se faire entendre sans délai par une autorité judiciaire ou autre”, alors même que la version anglaise utilise toujours l’adverbe “promptly”…

Et si j’ai été un peu long s’agissant des textes internationaux comportant des dispositions similaires à celles de l’article 5 § 3, c’est compte-tenu de l’intérêt habituel qu’y porte la Cour Européenne, laquelle y fait souvent référence en ses arrêts.

Effectivement, confrontée à un tel imbroglio, la Cour s’en est largement expliquée dans l’arrêt Brogan du 29.11.1988, avant d’en conclure que “Placée ainsi devant des textes d’un même traité normatif faisant foi mais ne concordant pas entièrement, la Cour doit les interpréter d’une manière qui les concilie dans la mesure du possible et soit la plus propre à atteindre le but et réaliser l’objet du Traité”.

Pour cela, la Cour fit référence à un 3e concept -celui de “promptitude” ou de rapidité-, qui se retrouve dans l’ensemble de sa jurisprudence et qui, contrairement à ce qu’il advint pour le concept de “magistrat”, procède d’une interprétation extensive du texte en sa version française.

Restait à définir cette rapidité.

Définition de la “rapidité”
La Commission, pour sa part, a entendu privilégier la sécurité juridique, en arrêtant, comme délai maximal pour la présentation au juge, un délai fixe de 4 jours en droit commun et celui de 5 jours dans des circonstances exceptionnelles, tel le terrorisme.

La Cour, quant à elle, s’est montrée réticente pour s’engager sur des délais-fixes, afin de garder sa marge d’appréciation “in concreto”.

Toutefois, et eu égard à cette même exigence de sécurité juridique pour les législations des Etats-membres, elle a été conduite, à compter de l’arrêt de principe Brogan du 29.11.1988, à fixer à moins de 4 jours et 6 heures le délai maximal à ne pas dépasser, délai ramené à 4 jours dans les arrêts Ipek du 3.02.2009 et Oral et Atabay du 23.06.2009.

Si on laisse de coté deux affaires véritablement exceptionnelles liées à des arrestations en haute mer (arrêts Rigopoulos du 12.01.1999 et Medvedyev du 29.03.2010), ce délai de 4 jours concerne essentiellement les affaires de terrorisme et de criminalité organisée; encore faut-il préciser que, même en ces matières, dans une affaire où les gardés à vue étaient mineurs, non assistés d’un avocat et où les investigations s’étaient limitées à un seul interrogatoire, le délai de 3 jours et de 9 heures a été jugé excessif (arrêt Ipek précité).

En droit commun, la Cour a d’abord explicitement considéré qu’il n’y avait pas violation de l’article 5 § 3 lorsque la comparution survenait 2 jours après l’arrestation (Grande Chambre Aquilina c. Malte du 29.04.1999).

Puis, dans son arrêt Varga du 1.04.2008, qui fait jurisprudence, elle a considéré qu’un délai de 3 jours répondait aussi aux conditions posées par l’article 5 § 3.

Et cette affaire est symptomatique à maints égards puisque le délit sur lequel portait l’enquête ne concernait pas des violences mais un trafic d’influence reproché à la propriétaire d’une chaîne de boulangerie et que la privation de liberté avait été ordonnée par un procureur Roumain qui, comme le rappelle l’arrêt en question “n’est pas un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires au sens de l’article précité”.

La Cour observe, en son paragraphe 53, qu’en l’espèce le juge a examiné la légalité et le bien fondé de cette privation de liberté trois jours après l’arrestation, ce qui répond, dit-elle - je cite- “au terme aussitôt prévu par l’article précité, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour” et sont cités, à cet égard, non seulement l’arrêt Brogan, mais aussi les arrêts Niedbala du 4.07.2000 et Ayaz du 27.05.2004.

Elle en conclue qu’il n’y a pas violation de l’article 5 § 3.

Bien évidemment, l’on ne saurait, comme paraît le faire le demandeur, présenter les décisions dans lesquelles la Cour prend acte de délais de présentation bien antérieurs aux limites ainsi fixées - tel l’arrêt Medvedyev où elle conclue à la non-violation aux motifs que la présentation au juge était intervenue 8h. à 9h. après le placement en garde à vue ayant suivi les 13 jours de rétention en mer- comme un changement de jurisprudence.

La meilleure preuve en est que, dans les décisions postérieures à cet arrêt de mars 2010, la Cour continue à se référer au délai maximal de 4 jours et à l’arrêt Brogan précité (cf. arrêts Nicut-Tanescu du 6.07.2010, Kornev et Karpenko du 21.10.2010 et Moulin du 23.11.2010).

Le tableau qui figure dans mes écritures et qui recense les délais jugés excessifs par la Cour ces deux dernières années illustre cette jurisprudence : ils vont de 4 jours et 2 heures à 20 jours, mais jamais en dessous.

Et si l’on remonte plus avant, c’est l’arrêt Ipek, que je citais à l’instant, qui doit servir de référence ultime, avec un délai de présentation de 3 jours et 9 heures, jugé excessif aux motifs conjugués que je rappelais il y a quelques instants.

La jurisprudence relative à la France confirme ce qui précède.

Si, avant l’arrêt Brogan, la Commission avait jugé que le délai de 4 jours alors prévu par le droit français cadrait avec l’exigence de rapidité formulée par l’article 5 § 3, elle a considéré, par la suite, qu’un délai de 45 heures (décision P.D. du 1.09.1993) ou de 48 heures (R.R. du 13.10.1993 et Bonhomme 3.03.1994) n’entraînait pas violation.

La Cour, quant à elle, dans l’arrêt Zervudacki du 27.07.2006, a jugé que si le fait de détenir la personne, après l’expiration d’une garde à vue de 48 heures et durant 13h.30 supplémentaires avant sa présentation au juge d’instruction entraînait, de ce dernier chef, violation de l’article 5 § 1 (l’espèce était antérieure à la loi du 9.03.2004 légalisant les délais de rétention post-garde à vue avec la création des articles 803-2s. du C.P.P.), elle n’a pas remis en cause le délai de 48h. au regard de l’article 5 § 3 (cf., dans le même sens, l’arrêt Sacilor Lormines c. France du 9.11.2006).

Quant à l’arrêt Moulin, ce ne sont pas non plus les 48 h. de garde à vue qui motivent la censure, mais le fait que s’y soient ajoutés 3 jours supplémentaires liés à l’exécution du mandat d’amener du juge d’instruction, soit un total d’un peu plus de 5 jours.

Ce qui est en cause dans cette dernière affaire, c’est non point le régime français de la garde à vue, mais la compatibilité des délais d’exécution des mandats avec les exigences de l’article 5 § 3, ainsi que l’effet cumulé dans la durée de plusieurs privations de liberté successives mais ayant le même fondement.

Enfin et de manière générale, la Cour a précisé les effets de sa jurisprudence en jugeant que

- l’obligation de présentation au juge cesse si, avant l’expiration du délai maximal pour ce faire, l’intéressé a été remis d’office en liberté (cf. les arrêts Brogan et De Jong). Vous noterez que tel est le cas en l’espèce qui vous est soumise, puisque la remise en liberté est intervenue peu après la 25e heure.

- dans pareille hypothèse comme dans celle où la présentation a eu effectivement lieu avant l’expiration du délai maximal, la Cour juge que la violation de l’article 5 § 3 n’est pas constituée.

La jurisprudence sur le délai, en résumé
En résumé, il résulte de la jurisprudence de la Cour Européenne les principes suivants :

➀ - le contrôle juridictionnel, défini comme l’obligation de présentation de la personne arrêtée à un juge et à personne d’autre, afin que ce dernier statue tant sur la légalité que sur l’opportunité de l’arrestation ou de son maintien, ne débute pas “aussitôt” le placement en garde à vue mais doit intervenir “rapidement” après ce dernier.

➁ - la privation initiale de liberté avant présentation au juge ne doit pas excéder entre 3 et 4 jours, selon les circonstances tenant essentiellement à la nature de l’infraction, à l’âge des gardés à vue et aux garanties effectives dont bénéficient ou non ces derniers, et en tout premier lieu l’assistance d’un conseil.

➂ - Tant que ce terme n’est pas acquis comme dans l’hypothèse où la privation de liberté prend fin avant ce terme, la mesure privative de liberté n’est pas soumise à contrôle juridictionnel sur le fondement de l’article 5§3.

➃ - En conséquence, la Cour européenne ne se reconnaît pas le droit de s’immiscer dans la période antérieure, sauf pour vérifier que la privation de liberté est licite au regard de l’article 5§1 ; que la personne a été informée conformément aux dispositions de l’article 5§2 ; et qu’elle a pu bénéficier, dés après son arrestation, de l’assistance d’un conseil.

Et c’est même pour tenir compte compte de cet effet-retards dans le contrôle juridictionnel, et donc de l’existence d’une véritable “béance” judiciaire au plan de la Convention, que la Cour européenne a étendu à cette phase, pourtant antérieure au procès équitable, l’exigence du droit au conseil énoncée par l’article 6§3 c), rajoutant ainsi explicitement à l’article 5 une garantie non prévue à l’origine. Telles sont les véritables raisons de cette exigence impérieuse qui fonde vos arrêts du 19 octobre.

Les conséquences pour la garde à vue
Quels sont les effets de ces principes conventionnels sur le droit français ? Je les évoquerai à travers le prisme des commentaires ayant accompagné les arrêts Medvedyev et Moulin.

Je passe rapidement sur l’assimilation à laquelle l’on assiste depuis quelques jours -le parquet n’est pas membre de l’autorité judiciaire visée à l’article 5 § 1, donc il ne serait pas membre de l’autorité judiciaire visée aux articles 64 et 66 de la Constitution française ; le parquet n’est pas un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires en ce qui concerne l’article 5 § 3, donc sa qualité de magistrat au sens de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 serait sujette à caution-.

Elle relève, d’évidence, non pas d’une interprétation juridique, mais de ce que je qualifierai, pour rester modéré, de “glissement sémantique particulièrement hasardeux” tellement des terminologies semblables peuvent recouvrir des concepts différents.

Plus sérieusement, l’ensemble des commentateurs ont insisté sur la nécessité, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne comme des avis et recommandations émis par le Conseil de l’Europe ou son Assemblée parlementaire,

- dans l’immédiat, de réfléchir à deux fois avant de transférer au ministère public partie des pouvoirs dévolus au juge d’instruction.

- ensuite, et comme le préconisait dès hier un rapport d’information sénatorial, de renforcer la protection statutaire des magistrats du parquet afin que l’autorisation de nomination soit totalement distincte de celle légitime à donner des instructions de politique pénale,

- et enfin de redéfinir, après une décennie de croissance continue des pouvoirs de la police judiciaire et du ministère public, le partage des tâches entre ce dernier et le siège, y compris et d’abord en terme de garantie des libertés.

La proposition de confier la 1ère prolongation de garde à vue à un juge du siège s’inscrit dans une telle problématique.

Cette dernière proposition ne saurait, pour autant, être présentée comme résultant de l’application du droit international car, en tant que telle, et je crois l’avoir démontré, la Convention ne requiert pas l’intervention obligatoire d’un juge avant 72 heures suivant l’arrestation.

Les 48 heures de garde à vue sont conformes
Le droit français, en réduisant à 48 heures, augmentées le cas échéant du délai de conduite et de rétention des articles 803-2 et 803-3, le délai maximal de privation de liberté avant présentation à un juge, répond aux exigences conventionnelles.

Pour la période antérieure au contrôle et à la condition que les autres garanties résultant de l’article 5 soient bien respectées, en particulier le droit au conseil, chaque droit interne organise, comme il l’entend, la procédure.

La majeure partie des systèmes européens laisse la police libre d’agir.

La France a fait choix d’instaurer un contrôle judiciaire confié au procureur de la République, afin que la légalité comme l’opportunité, tant du maintien que de la prolongation de la garde à vue à l’issue des 24 premières heures, relève d’un magistrat.

Et même si le contrôle de 800.000 gardes à vue par 1.200 parquetiers souffre, à l’évidence, d’un manque d’effectivité -mais les juges des libertés seraient tout autant démunis-, un tel régime constitue, incontestablement, en son principe une garantie additionnelle à celles de la Convention Européenne.

Au fond, le Conseil constitutionnel, en ses arrêts de 1981 et 1993, mais encore davantage celui du 30 juillet 2010, ne dit pas autre chose lorsqu’il énonce que “l’intervention d’un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 heures” mais que, “avant la fin de cette période”, “le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République, qui peut décider, le cas échéant, de sa prolongation de 24h.”

En résumé, la Cour européenne et le Conseil constitutionnel s’accordent implicitement pour dire que la compétence du parquet français en matière de garantie des libertés s’arrête là où doit débuter celle du juge. Et en visant, au soutien de sa décision, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, la cour d’appel ne saurait encourir la censure.

Pour le redire avec d’autres mots, la question franco-française posée à l’occasion des arrêts Medvedyev et Moulin pour les deux premiers jours de garde à vue, porte moins sur l’application de l’article 5 § 3 -puisque cette disposition est hors de cause- que sur la nécessité d’ajouter ou non aux garanties séquentielles de la Convention en fonction du temps passé, des garanties substantielles, qui feraient intervenir le juge, avant même le terme des 48h. de garde à vue, pour certains actes considérés comme plus attentatoires que d’autres aux libertés. Et c’est là que s’insère le moyen dont vous êtes aujourd’hui saisi.

“On vous demande de légiférer”
Manifestement, une telle évolution relève d’un choix en opportunité et, comme tel, de la compétence du seul législateur et non, bien sur, de celle d’une Cour suprême chargée de juger de la conventionnalité du droit positif, pas de peser sur le droit en gestation.

Je le disais en liminaire de mes observations : vous avez rendu sur la garde à vue des arrêts historiques car gravés dans le marbre du droit ; on vous demande aujourd’hui de légiférer.

J’aborderai, pour en terminer avec ces trop longues observations, la question de la motivation de la décision que vous serez amenés à rendre au regard de celle que vous avez rendue sur la même question, le 10 mars 1992, et qui avait jusqu’ici valeur de principe.

Si, pour les raisons déjà exposées, vous rejetterez le pourvoi en jugeant non contraire à l’article 5 § 1 et 3 de la Convention l’article 63 alinéa 2 du code de procédure pénale, autorisant le procureur de la République à prolonger, avec ou sans présentation préalable de la personne concernée, la garde à vue pour un second délai de 24 heures, la motivation de 1992 assimilant ce magistrat au “magistrat habilité” tel que visé à l’article précité de la Convention n’est plus pertinente.

Vous pourriez vous limiter à une motivation en forme de constat, en énonçant que l’article 5 § 3 de la Convention, tel qu’interprété par la Cour européenne et selon laquelle toute personne gardée à vue doit être rapidement traduite devant un juge (telle est la traduction jurisprudentielle de l’article 5 § 3, qui me paraît pouvoir figurer utilement dans vos attendus), n’a pas vocation à s’appliquer avant, en tout état de cause, l’expiration du délai de 48 heures fixé par la loi interne pour l’intervention du juge, augmenté, le cas échéant des temps de conduite et de rétention visés aux articles 803-2 et 803-3 ; cette dernière précision m’apparaît de nature à éviter des erreurs d’interprétation et à répondre, par anticipation, à quelques interrogations.

Et que, par voie de conséquence, la disposition de droit interne qui permet au procureur de la République d’autoriser la prolongation de garde à vue à l’issue des 24 premières heures n’est pas contraire à la Convention.

Toutefois, une telle motivation ne serait pas au même niveau que celle de 1992 qui, en rejetant le grief de non-conventionnalité, ne se limitait pas à viser le code de procédure pénale mais donnait un fondement, à l’époque conventionnel, à l’action du parquet.

Aujourd’hui, un tel fondement ne saurait trouver son origine dans la Convention et c’est là que réside le changement substantiel ; il s’avère, en revanche, de nature constitutionnelle, comme l’a expressément énoncé le Conseil, notamment en sa décision du 30 juillet 2010, en visant l’article 66 de la Constitution relatif au rôle de l’autorité judiciaire en matière de respect de la liberté individuelle.

L’autorité judiciaire, au sens de la Constitution
Rien ne s’oppose, en droit, à ce que vous rappeliez que le rôle ainsi imparti au magistrat du parquet en matière de garde à vue avant que l’intervention du juge ne devienne obligatoire, a pour fondement l’article 66, dans la mesure où le Conseil s’est déjà prononcé et que sa décision ne heurte aucun principe conventionnel.

J’y verrai, pour ma part, trois avantages :

- vous assureriez une parfaite cohérence entre le juge de la constitutionnalité et le juge de la conventionnalité, ce que vous avez déjà fait il y a peu et ce que vous êtes encore seul à pouvoir faire, alors même que la dualité du contrôle est de nature à susciter des interprétations contradictoires, dont nos collègues des cours et tribunaux, et pourquoi pas les justiciables eux-mêmes, souhaiteraient pouvoir faire l’économie.

- vous exprimeriez par cela même que le rôle du parquet en la matière s’arrête nécessairement là où commence celui du juge et qu’il existe ainsi une gradation dans la garantie des libertés au sein même de l’autorité judiciaire française.

- vous affirmerez enfin clairement erga ornnes que le rôle du magistrat du parquet dans l’application de la loi est aussi de garantir les libertés et que ce rôle constitue, le concernant, moins un droit, qu’un devoir.

http://libertes.blog.lemonde.fr/2010/12/16/le-role-du-parquet-le-dossier-de-la-cour-de-cassation/

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